Jean-Pierre Guéno est l'éditeur d’une collection remarquable fondée sur la correspondance et le travail de mémoire.
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de St Cloud, il a dirigé le développement culturel de la BNF , puis fut directeur des éditions et de la communication de Radio France et directeur de la communication de la Poste. Féru d’histoire, il s'est intéressé particulièrement à la 1ere et à la seconde guerre mondiale.
On peut citer, sur ce sujet, les titres suivants : « paroles de poilus », « carnet de Verdun », « papa est en guerre », paroles du jour j ».
Son dernier livre paru en 2012 « Lili Marleen » revient sur une chanson qui porte en elle ces 2 guerres car écrite par un soldat allemand Hans Leip lors de la 1ere guerre mondiale et devenue ensuite l’ hymne de la guerre 39-45, récupérée par les 2 camps .
L’édition des lettres de combattants, alliés et ennemis, de victimes ou de simples témoins de la guerre permet de revenir sur une histoire connue mais ici vécue par des êtres singuliers, souvent très jeunes, auxquels il rend hommage, en les nommant , dans la préface à « Paroles de l’ombre », « les figurants obscurs de l’histoire ».
Mais il fait aussi entendre les voix de figures plus connues, comme celles , pour n’en citer que quelque unes, d’Alain Fournier, de Jean Zay, de Lucie Aubrac , de Churchill ou De Gaulle
S'il s'attache à la guerre et à sa complexité, il se soucie également des grands problèmes sociologiques de notre époque , en donnant la parole aux humiliés, aux exclus, aux victimes de notre monde : les prisonniers, les femmes, les déracinés.
Son œuvre s’inscrit dans un engagement humaniste. Humaniste dans sa forme car ces témoignages sont publiés dans une collection Librio dont le faible prix (2 ou 3 euros ) la rend accessible à tous et dont les droits d’auteur sont reversés à la Collectivité publique.
Humaniste dans son fond car elle nous incite à l'éveil des consciences, à la vigilance, à briser le mur du silence, d’injustice et de barbarie, à combattre la part d'inhumanité présente en chaque être humain.
Extrait de Paroles de femmes p.55
Poème de Marianne Cohn, jeune femme juive, arrêtée en 44 alors qu'elle convoyait 28 enfants. Elle a refusé d'être libérée par la Résistance, craignant une vengeance contre ses protégés. Elle a été sauvagement assassinée à 23 ans
Je trahirai demain, pas aujourd'hui
Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles
Je ne trahirai pas !
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
Je trahirai demain. Pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre.
Il ne me faut pas moins d'une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
pour mourir.
Je trahirai demain. pas aujourd'hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
Le lime est pour mon poignet.
Aujourd'hui, je n'ai rien à dire.
Je trahirai demain
Extraits de " Paroles de détenus". 26
"Dans la cellule ou derrière les pieux de la palissade, on est seul en effet, contre tous les autres, seul et séparé par un mur de cet immense grouillement d'hommes dont on a été brutalement retranché de cette humanité remuante et libre, qui semble vous avoir abonné, vit sans vous, s'organiser et agit sans vous, prenant toute entière figure d'adversaire"
Jean Zay "Souvenirs et solitude"
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