Venue de Carole Martinez
le 16 janvier 2017
Compte-rendu écrit de la rencontre
(Présentation d'A.Lion )
Carole Martinez est l'auteur de 3 romans :
Le premier « Le cœur cousu » en 2007, couronné par de nombreux prix dont le Renaudot des lycéens.
Le second en 2011 « Le domaine des murmures » qui obtint le prix Gongourt des lycéens.
Le troisième en 2015, prolongement du précédent, « La terre qui penche ».
Lire Carole Martinez c’est entrer dans un univers totalement envoutant.
Par la beauté de son écriture, ample et poétique.
Par les sujets qui mêlent magie et réalisme, merveilleux et violence.
- Le merveilleux tout d’abord
Imprégnée par la culture orale des contes, transmise par sa grand-mère, l'œuvre de Carole Martinez évoque les dons extraordinaires de femmes Frasquita, dans "Un cœur cousu », qui par ses talents de couturière donne vie et beauté . Répare les visages.
Le don d’Esclarmonde dans « Le domaine des murmures », qui enfermée dans sa cellule, vit et voit la croisade à laquelle participe son père à des milliers de kilomètres de son château.
Le don de Blanche, qui morte à 12 ans, continue de nous parler à travers deux voix , celle de la petite fille et celle de la vieille âme dans « La terre qui penche »
La nature dans tous ses livres participe de ce merveilleux, dans une proximité aux personnages si exceptionnelle, si fusionnelle que se réalisent parfois de véritables métamorphoses : La rivière devient femme, l’homme poisson, poule...
- La Violence, comme dans tout conte, est également présente.
Celle que subissent les femmes, à qui on impose leurs maris,à qui on impose de baisser le regard.
Ces trois romans sont les récits de leur émancipation (du pouvoir des hommes, de la société, de la religion).
La violence est celle faite également au corps à travers les scènes effroyables de viol, de crucifixion des mains....
Violence des armes, des combats (les corps à corps , la révolte des anarchistes espagnols, les croisades, les tournois).
La violence des séparations, véritables déchirements.
L' œuvre de Carole Martinez est consacrée aux femmes, mais aussi au désir et à l’amour, omniprésent et souvent contrarié
L’amour spirituel et charnel,
l’amour maternel qui transcende tout
l’amour-amitié
Question introductive : en reprenant la phrase de Duby mise en exergue, l’écriture est-elle pour vous le moyen de donner forme, cohérence, consistance à ces femmes du Moyen-Age?
Pourquoi cette fascination ?
Compte-rendu écrit de la rencontre avec Carole Martinez
- Pourquoi cette facination pour les femmes du Moyen-Age ?
Parce qu'on ne savait rien des femmes du 12e.
Si Carole Martinez parle du "Domaine des murmures", c'est parce qu'il ne reste aucune trace de ces femmes.
C'est le rôle de la romancière de se glisser dans ce silence.
Il n'existe pas de mémoires de femmes dans l'Antiquité. Sauf Agrippine.
Les hommes seuls ont eu droit au texte (histoires des saintes écrites par les hommes).
Cas de la biographie d'Aliénor d'Aquitaine écrite par un homme qui ne l'a jamais connue.
Les professions laissées au femmes : le fil , le textile qui ne dure pas.
Rien ne prédestinait Carole Martinez à parler du Moyen-Age. Elle avait plutôt une sorte de rejet de cette période, ainsi que de l'ancien français.
Le féminin n'a pas été exploré.
Un sujet qui l'a toujours intéressé : le sang.
Donc les menstrues (basiquement) qui touchent 50% de la population.
L'occasion lui fut donner de s'intéresser à ce sujet lors de l'écriture d'un scénario pour son premier roman.
Comment faisaient les femmes ?
Aucune réponse dans la littérature. C'était une question taboue.
Elle fit une enquête sur les vêtements féminins, ouverts jusqu'à la Première Guerre Mondiale.
Une seule réponse trouvée chez les hygiénistes allemands.
En fait on laissait couler (cf. sciure dans les ateliers pour ne pas glisser)
Ce qui permet de mieux comprendre les textes saints ( femmes impures)
- Avez vous la foi ? Si oui quel rôle a-t-elle joué dans votre oeuvre ?
Non . Carole Martinez n'a pas la foi (l'a perdue à 13-14 ans)
mais enfant elle voulait être religieuse.
Ce qui pose probème c'est la relation de la religion et du pouvoir.
Seule importe la foi individuelle.
Fascination toujours très grande pour le sacré, les croyances.
- Solitude dans l'écriture ?
Claustrophobe, Carole Martinez n'aimait pas le Moyen-Age, n 'était pas croyante mais elle s'est laissée embarquer par un personnage.
Fuyant la solitude, elle appelle les copains pour leur lire à voix haute des extraits de son futur livre . Elle entend ainsi mieux ce qu'elle écrit. Comme Flaubert , ses amis sont des sortes de "gueuloirs".
La nuit elle corrigeait tout. Elle était plus exigeante donc effaçait tout ce qu'elle avait écrit le jour.
Pas de lieu spécifique pour écrire.
- La véracité de l'histoire passée importe -t-elle ?
Exemple du voyage au Cambodge . Enquête sur la vie des employés dans les très grandes usines du textile (envisager la face sombre de cette profession).
Difficulté d'écrire sur le contemporain, de faire part de révélations. Peur de faire du mal à autrui.
Travailler sur l'intime représente une assurance contre ce risque.
Choix de la liberté de parler de choses indirectement, à travers des métaphores.
- Autre roman sur le Moyen Age ?
Fascination pour cette période, grâce à la documentation.
Mais envie d'autre chose toujours en mettant les femmes au centre.
Personnage tentant : Marie Madeleine,
composée de 3 femmes( une érudite, une prostituée et la soeur de Lazare)
Femme fabriquée par le pape au 6e siècle
Mais aurait nécessité une plus grande documentation encore
- En écrivant, quelle est la priorité ?
L'intrigue ou le personnage ?
Double exercice nécessaire dans l'écriture: la maitrise et l'abandon
Le personnage est le plus important
Au début du "Domaine des murmures" une métaphore s'impose.
"l'unique orifice", fenestrelle, bouche de pierre : 1ere métaphore
qui inspire l'auteur. L'orifice va devenir ses oreilles, son nez, ses yeux, son sexe
Elle aura donc un enfant(ventre de chair dans un ventre de pierre)
Le personnage s'impose donc en 1er.
- Etre cruelle dans ses romans : un problème ?
Cela ne la dérange pas. Parfois même se réjouit de tuer un personnage
Car c'est son destin (Pedro) mais finalement dans le livre, le personnage s'est échappé, le personnage reprend sa liberté. Il a été sauvé.
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